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 ‘ Bouge pas, Meurs, Ressuscite ‘

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Michèle Bolli

Pour aborder le religieux hors piste, précisons d’abord que le terme religieux  s’entend ici au sens de ce qui relie les êtres humains entre eux, et aussi, en verticalité, ce qui relie à une réalité transcendante qui n’est ni tout de suite ni toujours porteuse du nom de Dieu. Puis, partons visiter trois histoires, extraits de trois filmographies contemporaines et voyons comment ceux qui les ont créées éclairent notre thème.

‘Bouge pas, Meurs, Ressuscite !’, V. Kanevski  (1990)

L’amour fort comme la mort…

« Bouge pas, Meurs, Ressuscite » c’est ainsi qu’un cinéaste russe contemporain, Vitali Kanevski, parle à sa mémoire pour la conduire vers une transformation, une transfiguration, une résurrection culturelle, et tenter de transformer ainsi la souffrance qu’elle charrie en quelque chose de supportable et de communicable.

Langage religieux pour un thème profane. Pourtant, quelque chose du sens premier du mot  résurrection ne peut-il se lire dans cet usage-ci ? Passant par la prise en compte d’une  memoria passionnis (J.-B. Metz) et sa reconfiguration dans une forme de langage plus largement compréhensible : le cinéma.

Images simples. Implacables dans leur simplicité même. En noir et blanc. L’Extrême-Orient soviétique. 1947. Un camp stalinien à Soutchan, ville de Sibérie. Le froid. La boue. La misère. L’obscénité. La délinquance. ‘Ce film est la résurrection de mon passé, a dit Kanevski. Film terrible contant une enfance passée dans la précarité la plus grande…Pourtant, illuminée par l’amour naissant entre deux enfants au milieu de cette épaisse inhumanité. D’elle, Valerka tente à certains moments de s’éloigner, mais, Galia le retrouve toujours. Finalement, ils fuiront ensemble.

Des années plus tard, en créant ce film, Kanevski  permet que s’opère en lui, et pour notre plus grand intérêt, la transmission de cet or relationnel, échangé au ras du quotidien entre ces deux grands enfants, solidaires compagnons d’infortune, en une narration imagée, accessible à la compréhension de tous. Travail d’âme entre le très privé et le très publique, qui nous est offert par le septième art .Note d’espoir qui s’est jouée au fil des jours autrefois et se rejoue

aujourd’hui à chaque projection. Vie presque éternelle ?

Andrei Roublev, de A.Tarkovsky (1966)

Rencontre d’un fils, orphelin audacieux et d’un moine, père occasionnel

Rappelons d’abord, que ce film, tourné en Russie par A.Tarkovsky, fut interdit de 1966 –1969. Puis, projeté à la sauvette  à Cannes, il connu un succès fulgurant et fut dès lors considéré comme une œuvre majeure où se côtoient l’art, le religieux, le social. Rappeler ensuite, que son auteur mourut en exil.

Commencement : un paysan tente de voler en s’élançant du toit d’une cathédrale. Il s’écrase au sol. Première image impitoyable de la violence qui déchire l’époque contemporaine d’Andreï Roublev, la Russie du xve s. Histoire d’un peintre d’icône sur fond de massacres des innocents : le peuple russe. Cela aurait pu n’être qu’un banal documentaire n’était la caméra du grand Tarkovsky. Parmi le faisceau de thèmes que ce film charrie, je voudrais mettre en évidence la relation entre un moine en déplacement et un adolescent blond qui a perdu son père, fondeur de cloches.

Appelé à Moscou pour peindre les murs de la cathédrale, le moine-peintre, ayant vu la misère et la souffrance du peuple au long de son voyage, s’oppose à celui qui dirige les travaux – Teofan - qui veut lui faire peindre un terrifiant Jugement dernier. Il refuse ainsi d’ajouter le poids du religieux culpabilisant à la misère du peuple. Lui maintient, au contraire, l’homme au centre de son inspiration et sa foi en la rédemption au milieu des violences du temps. Par ce refus audacieux, il a cessé de subir la loi de la violence, mais au prix de son art. Le spectateur prend conscience que la liberté de l’artiste, doublée de celle du théologien qui a une parole à dire à tous, requiert une force spirituelle peu commune pour se faire entendre. Voie de non – violence. De retournement de la violence contre soi. Ici, auto - assignation au silence. Silence de la parole. Silence des pinceaux…

C’est par une rencontre imprévisible que le moine en sortira dix ans plus tard.

Un jeune orphelin, fils d’un génial fondeur de cloche, acculé par le seigneur du coin, se met à l’ouvrage pour diriger les travaux de moulage d’une nouvelle cloche, prétendant que son père lui avait livré le secret de la réussite. Le moine l’observe de loin et le soutient de sa présence, du regard, de toute sa force spirituelle. Le jeune homme franchit victorieusement toutes les étapes (que le spectateur vit avec lui dans l’angoisse) et la cloche résonne dans l’immensité de la plaine russe ( on se rend compte de l’importance de ce son qui signifiait loin à la ronde une présence humaine ).

Qu’y a-t-il de plus difficile que de garder sa foi en l’humanité dans un siècle de violence où les hommes s’entretuent, où le pouvoir politique ne sert qu’à renforcer le mal-être du peuple…Où les artistes, et Dieu lui-même par la bouche de ses moines et de ses prêtres, doivent se soumettrent au Prince…A.Roublev dit non , mais il doute. Grâce à ce jeune garçon, icône de la génération montante, qui osa prendre le risque d’affirmer sa nouvelle existence de jeune adulte, imitant les gestes paternels pour réaliser la cloche, l’espérance renaît en lui. Cette audace qui les caractérisent l’un et l’autre, à des moments différents de la narration, les rassemblent. Elle reçoit l’appui spirituel de ce père ‘de passage’, le moine, qui sans doute s’y reconnaît quelque peu. Le jeune homme réussit. Evénement que Tarkovsky filme comme une explosion de joie ! Evénement symbolique important, car si celui qui représente la génération montante au sein du peuple, sait prendre sa vie en main et réussit, il exprime alors une ouverture nouvelle pour l’avenir de tous !

Le moine, à son tour, agira dans son domaine, pour faire grandir cette possibilité de nouvelle vie, en peignant sa propre compréhension de Dieu et de l’art : un Dieu - pour - l’homme, un Dieu christique, donc ! Un art, pour dire la Lumineuse Proximité de ce Dieu-là. Art et compassion s’allient. Au lieu du Jugement terrifiant, sur le mur, c’est la Trinité, expression d’un Dieu source d’amour et de communication avec l’humanité, qui prend place. De plus, en  signant son œuvre malgré l’interdit, il affirma jusqu’au bout sa liberté d’artiste et de théologien. Pour cet acte, il eut les yeux crevés. Certes, la violence est encore là, mais elle n’occupe plus toute la place, elle n’eut pas le dernier mot : cette œuvre a traversé les siècles jusqu’au regard du cinéaste d’A.Tarkovsky, qui l’a fait connaître partout dans le monde en créant ce film.

Ne meurs pas sans me dire où tu vas ! , No te mueras sin decirme a dónde vas, Eliseo Subiela, (1995)

Après la mort, une vie nouvelle ?

Tout autre est ici l’ambiance créée par E.Subiela dans l’ensemble de son œuvre.

Par ce film magnifique et complexe, ce cinéaste veut nous introduire en une dimension subtile de la vie, une sorte de voie de passage, tout juste un sentier, un pointillé, entre la vie et la mort, et vice et versa, entre la mort et la vie. Car pour lui, la mort n’est pas une fin, mais une transformation.

Il nous conte une première histoire d’amour entre un inventeur de génie ( aux origines du cinéma) et son épouse Rachel. Elle meurt. Il rêve qu’il la revoit.

Puis une seconde histoire, où un inventeur d’aujourd’hui, invente un ‘capteur de rêves’ et une sorte de ‘rêvothèque’. Sur son écran, il aperçoit une belle femme, qu’il reconnaît comme la femme aimée de l’histoire précédente.

On la voit se promener dans Buenos Aires, être sans corps en compagnie d’un robot, sorte de corps pré-programmé, sans âme. Etrange couple. Incomplétudes qui ne peuvent se joindre…Elle dit craindre de redevenir complètement vivante à cause de la souffrance à endurer. Elle dit son nom au chercheur : Rachel. Dès lors, il est amoureux de cette ‘femme de rêve’ et vit sur deux plans : avec ce rêve féminin, et avec sa femme réelle.

Une femme du passé revient vers le présent, un être vivant au présent se tourne vers le passé…Un point de jonction existe entre les deux : le rêve, la machine inventée et le cinéma ! Il nomme son film : une ‘collection de rêves’. Et dit aussi : « Il y a une foule de choses que nous ne comprenons pas. Mais le simple fait que nous ne les comprenions pas ne signifie en rien qu’elles soient irréelles (…)Ce qui nous rend éternel, c’est l’amour. Ce message plein de promesses m’a incitée à faire ce film » . Peu à peu, le spectateur saisit le propos du cinéaste : grâce à l’amour les êtres peuvent se retrouver de différentes manières. L’amour qui suscite aussi l’inventivité et permet de récupérer et de retrouver les rêves de l’humanité, tous les rêves d’amour.

Sur un mode romantique et humoristique, Subiela ne rejoint-il pas ici, la manière dont le poète G.Haldas parle de la Résurrection (1) ? Ce dernier ne la dit-il pas comme un acte d’amour qui éclaire les mémoires et permet que se reconnaissent des êtres vivants et des êtres morts et transformés. L’amour, la vie, la mort constantes de la méditation religieuse !

Trois cinéastes contemporains, appartenant aux poètes du cinéma, présentent les particularités de leur rapport à la mort et à la vie, allant jusqu’à envisager un retour de la mort vers la vie, suscité par l’amour de ceux qui sont encore vivants. Et ce thème-même n’est-il pas  - en germe - celui de la résurrection de Jésus-Christ, ressucité par l’amour de son Dieu, celui pour lequel il avait donné sa vie ?

Ne nous font-ils pas partager une séquence de leur monde traversé de religieux, comme la vie elle-même est tissée d’une veine religieuse, relayée par la mémoire d’une enfance, par la quête de sens dans des situations difficiles, par la recherche d’ouvertures vers de nouveaux possibles dans des situations fermées, par l’approche de la mort touchant à l’origine et à l’ultime ?

Ces expressions de l’art, cinématographique ici, ne nous interrogent-elles pas aussi sur la place de l’artiste dans nos sociétés, ce cousin des prophètes, ce porteur de questions parfois dérangeantes, cet habitant de la difficile place de la liberté vivante qui requiert notre attentive écoute ? 

Lausanne, avril, 2005

1.G. Haldas, Mémoire et résurrection, L’Age d’Homme, Lausanne, Paris, 1991, p.1172


Textes de théologiennes romandes - collectionnées de Michèle Bolli, Dr. en théologie