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Représentations alternatives
de la subjectivité féminine


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Purificación Mayobre Rodriguez, Univ. de Vigo, ES. (http://webs.uvigo.es/pmayobre)

Texte publié par la revista ANDAINA, 32, été 2002, pp30-34

tr. Michèle Bolli, Lausanne,CH

Actuellement, une des tâches les plus importantes qu’a entreprise la théorie féministe, consiste à repenser et redéfinir l’identité féminine.

Ce travail prétend être plus que de la déconstruction, car il ne se contente pas d’une simple analyse critique, mais présente aussi de nouvelles conceptualisations et de nouvelles représentations de la féminité, ainsi que le dit la féministe italoaustralienne Rosi Braidotti :« La théorie féministe n’est pas seulement un mouvement d’opposition critique au faux universalisme, mais elle exprime aussi le désir des femmes de manifester, et de valider, des formes différentes de subjectivité. Ce projet implique aussi bien de critiquer les définitions et les représentations existantes des femmes que de créer de nouvelles images de la subjectivité féminine »1.

Il est certain que le travail de reconstruction est encore naissant et rien n’est moins certain que ce résultat très problématique puisse donner une réponse à la question : qu’est-ce qu’être femme ?

Parce que , comme l’affirme J. Butler : « au lieu d’une signification stable qui exige l’approbation de celles qu’elle prétend décrire et représenter, les femmes (incluant le pluriel), elle se transforme en un terme problématique, en un lieu de contestation, en un motif d’inquiétude »2. Cela veut indiquer qu’il est difficile de donner une définition normative de la femme et de la féminité. Dans la pratique, les femmes accueillent certains aspects de la définition et en refusent d’autres; en idéalisant certains et en liant d’autres au sordide, parce qu’il n’a pas en définitive, une unique conception, qui ne varierait pas - elle dépend de chaque femme, de la classe, de l’ethnie, de l’âge, de la tendance sexuelle, etc. – en un dialogue généralement conflictuel.

D’un autre côté, il importe aujourd’hui, de prendre en compte, dans la redéfinition de l’identité féminine, le fait que les concepts de masculinité et de féminité sont mutuellement dépendants, que ce qui atteste de la féminité est le fruit d’une hétérodésignation ; de même l’homme configure son identité masculine négativement 3 – être homme, c’est ne pas être femme-

parce que – comme l’affirme Foucault dans L’Archéologie du Savoir – il y a aussi une dépendance sémantique de l’un ( masculin) vers l’autre (féminin). Il est certain que cette relation dialectique fut toujours asymétrique, hiérarchique, et que cette asymétrie a toujours favorisé les hommes, comme l’exprime bien Virginia Woolf dans ‘Une chambre à soi’ :

« Durant tous ces siècles, les femmes furent les miroirs dotés du pouvoir délicieux et magique de refléter une silhouette d’homme pareille au naturel…Pourtant, si elles essayaient de dire la vérité, l’image du miroir s’évanouissait»4 et dire, que la redéfinition de l’identité féminine implique un ajustement des comptes et une révision de l’identité masculine en cette interrelation dialectique qui s’est établie entre les sexes, le masculin et le féminin.

Nouvelles images de la subjectivité féminine

Ces derniers temps, nous passons d’une définition classique de la femme en perte de vitesse comme modèle culturellement dominant et normatif pour la subjectivité féminine, à un temps qui donne de l’importance à l’investigation, à la redéfinition et à la représentation du féminin médiatisé par une série de métaphores ou de lieux comme la différence sexuelle (Luce Irigaray), le nomadisme (Rosi Braidotti) ou la parodie ( Judith Butler).

En général, ces penseures croient que la possibilité de réfléchir à de nouvelles formes de subjectivité féminine implique de transformer les structures et les images de notre système de pensée et non seulement de modifier ou de corriger une partie des déterminants de la pensée. Comme dit L.Irigaray : « Il ne suffit pas de changer telle ou telle chose dans l’horizon qui définit la culture humaine, mais bien de changer l’horizon lui-même »5.

De même, tendre à penser que la différence sexuelle est une différence fondamentale, basique, qu’elles prennent comme point de départ pour ériger leur interprétation symbolique de la réalité. En utilisant les paroles de R.Braidotti : « J’aimerais valoriser la différence sexuelle comme projet…’ pour que cette énergie, inscrite dans la différence qu’incarnent les femmes, fournisse des bases positives, fondatrices pour redéfinir la subjectivité féminine dans toute sa complexité » 6 .

Ces présupposés proviennent d’auteurs de philosophies, comme la philosophie de la différence française (Deleuze, Guattari, Derrida), la psychanalyse freudienne ou lacanienne et le poststructuralisme postfoucaldien, c’est-à-dire à des philosophies qui défendent un sujet décentré et soumis aux conditions sociohistoriques et inconscientes.

La différence sexuelle

La différence sexuelle est un des topos identifiables de la subjectivité féminine que défend Luce Irigaray, une des membres de l’école française ‘Féminisme et psychanalyse‘, parce que ‘la différence sexuelle est un don immédiat, naturel, et une composante réelle et irréductible de l’universel. Le genre humain en sa totalité est composé de femmes et d’hommes’7 .

La reconstruction de l’identité féminine – selon l’auteure – devrait commencer par la récupération d’une généalogie féminine, par la création d’une langue sexuée et d’un ordre symbolique maternel.

Le point de départ de cet ordre symbolique est le corps féminin, caractérisé par le fait qu’il soit parfaitement apte, par la morphologie du vagin et par la capacité maternelle, à vivre l’expérience de ‘non-je-en-moi’, ce qui est interprété comme un défi à la logique de l’identité, à la logique sociale, à la logique économique. C’est un défi à la logique identitaire de notre système de pensée parce qu’il déplace les paramètres fondamentaux de l’organigramme patriarcal, le corps masculin et, plus concrètement encore, le phallus – ce phallus qui s’érige en solitaire, négateur ou excluant les autres – alors que le corps féminin, est corps qui donne accueille l’autre, qui lui permet de croître et de s’épanouir, et qui procure un appui à une logique de caractère relationnel. Suivant Luce Irigaray :

‘ Le corps féminin présente la particularité de tolérer la croissance de l’autre à l’intérieur de soi, sans enfermement, rejet ou mort pour un des deux organismes vivants. Malheureusement, la culture…ne fut pas capable d’interpréter le modèle de tolérance que manifeste cette relation d’un être distinct à l’intérieur d’une même…La culture de l’entre-hommes agit de manière inverse. Elle s’organise en excluant de sa socialité l’apport de l’autre sexe. Alors que, où le corps féminin engendre dans le respect de la différence, le corps social patriarcal s’édifie hiérarchiquement en excluant la différence9 ».

Suivant l’auteure, le caractère dominant qu’occupe le sens du tact chez les femmes, questionne, lui aussi, la logique dualiste patriarcale, puisque ‘dans le toucher se remémorent, et parfois s’estompent les limites entre ceux qui se touchent… Se crée une fluidité en laquelle se confondent les bords de l’un/une et de l’autre/autre, entre l’un/une et l’autre/autre 10, favorisant une logique de la multiplicité et de la contradiction, alors que chez les hommes prédomine le sens de la vue, mais ‘l’œil, plus que les autres sens, objectivise et domine. La distance est maintient de la distance et, par conséquent, favorise le dualisme et l’exclusion.

La création de cet ordre symbolique serait à compléter par la création d’un langage sexué, la reconnaissance d’un droit sexué et la récupération d’une généalogie féminine, généalogie qui fut close par un matricide originaire, comme il est raconté dans l’Orestie.

Le sujet nomade

Rosi Braidotti se propose une redéfinition de la subjectivité féminine à partir de la philosophie de Deleuze, de laquelle elle adapte et réadapte des concepts tels que nomade, devenir, déterritorialisation ou rizome. L’affinité avec les déterminants présupposés deleuziens ne signifient pas qu’il n’y a pas de différences très importantes entre les deux, comme celle que Deleuze postule, d’une multiplicité de subjectivités sexuées, alors que Braidotti s’oppose à une neutralisation de la dichotomie de genre parce que « l’élimination de la différence sexuelle, seule peut constituer un chemin, non seulement la figure de l’appropriation, de l’élimination ou de l’homologation du féminin en/des femmes » 12 .Pour que cette homologation ne se produise pas, il est nécessaire que les femmes donnent une interprétation symbolique de la différence sexuelle, « les femmes doivent énoncer le féminin, doivent le penser, l’écrire et le représenter en leurs propres termes »13.

La subjectivité féminine qu’elle propose est celle du sujet nomade. Le sujet nomade est une représentation théorétique qui fait référence à un style de pensée qui évoque des issues alternatives à la vision phallocentrique du sujet et à la logique dualiste dominante. Le sujet nomade doit s’entendre non en un style cartésien comme conscience transparente, autonome, coupée du corps et théologiquement dirigée, mais plutôt comme une identité fluide, changeante, sans frontières, ouverte à de nouvelles possibilités et avec un grand potentiel pour re-désigner et re-définir les choses. C’est de là que l’auteure utilise la métaphore de rizome pour le caractériser. Il est ainsi possible - comme une rizome est une racine qui ne pousse pas en une forme rectiligne mais de plusieurs côtés - de comprendre de même l’identité nomade comme une forme de résistance politique aux visions hégémoniques et excluantes de la subjectivité » 14 .

Le projet nomade – conclut l’auteure – est une alliance très importante pour le féminisme parce qu’il permet de rompre avec la grille filtrante de l’identification masculine qu’imposait la théorie dominante, de se sortir de ses structurations excluantes et de reconcevoir l’unité du sujet sans oppositions dualistes, en reliant corps et mental par une série de transitions, de liens et de relations.

La parodie

Judith Butler définit l’identité féminine à partir du poststructuralisme de Foucault, de Derrida et des perspectives gays, lesbiennes et queer. Dans son ouvrage, Genres en dispute, elle part du présupposé que le terme ‘femme’ n’est pas univoque, qu’il n’a pas une signification unique, mais diverses acceptions, et arrive à cette conclusion, après s’être interrogée sur la corrélation existante entre sexe et genre et en avoir inféré que – contrairement à ce qu’affirme la position naturaliste – le sexe est une construction culturelle autant que le genre.

Partant de la conception foucaldienne, selon laquelle le pouvoir n’est pas seulement répressif mais qu’il est aussi constructif, créateur de subjectivités, elle pense que le genre est une construction, que le genre est performatif, et dit, qu’il n’est pas une manifestation naturelle du sujet mais que le genre comme performance construit le sujet, construit son identité sexuelle par la médiation d’une série de pratiques discursives et de normes régulatives qui l’inscrivent dans le sexuel binaire dominant.

Mais cette construction a , du début à la fin, une forme continue, par le moyen de la répétition d’une conjonction d’actions qui fait paraître ce sujet comme une entité apparemment stable.

C’est alors, en ces répétitions que Butler voit une possibilité de créer un projet de résistance, de resignification et de création de nouvelles identités, nouveaux genres, nouvelles représentations ou nouvelles pratiques sociales à la pointe des identités, des genres,représentations, pratiques discursives ou sociales qui créeront un sujet, parce que même si le sujet est construit et est soumis aux dispositifs de pouvoir (l’idéologie, une forme particulière de domination, etc.) il est aussi certain que nous sommes sujets avec la capacité d’agir, de subvertir les règles du jeu 15 .

Butler affirme que le caractère performatif de l’identité sexuelle est encore plus clair dans le phénomène de la drag 16 , dans lequel s’opère une dénaturalisation entre sexe masculin/genre masculin ou sexe féminin/genre féminin, résultant évidemment du fait que l’identité sexuelle n’est rien d’autre qu’une mascarade.

Pour Butler la drag est subversive parce que par sa conduite peut être exprimé le fait que l’hétérosexualité aussi bien que la division des genres n’a rien à voir avec une supposée essence ou nature, et dire un être qui préexiste à nos conduites et à leurs déterminations a priori. Elle est aussi subversive parce qu’elle nous ouvre la possibilité de construire de nouvelles identités non préfigurées, non stabilisées, non polarisées, mais multiples et diverses.

Conclusion

Pour terminer, nous pouvons conclure que ces auteures divergent entre elles, mais ont également bien des points communs. Elles s’accordent pour rejeter le caractère binaire et hiérarchisé du genre ou la conception victimiste de la femme. Elles convergent encore dans la reconnaissance d’une diversité ou d’une hétérogénéité existante entre les femmes, et dans cette diversité existante en chacune d’elles aussi, comme sujets non unifiés, mais multiples et fragmentés.

Et, surtout, elles se rejoignent pour dire la nécessité de redéfinir l’identité et la subjectivité féminine jusqu’au point que nous pouvons affirmer, parodiant Fina Birulés, qu’il y a en elles, une ‘aspiration à la subjectivité’, qu’il est un temps de la subjectivité dans lequel « la tâche créative consiste à apprendre à vivre avec la contingence et l’ambiguïté irréductibles, sans les ignorer ni s’y soumettre docilement » 17 .

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Notes

1. Braidotti, R,’’La diferencia sexual como proyecto político nómade’’, R.Braidotti, Sujetos Nómades, Paidós, Barcelona, 2000, p.185.

2. Butler, J., El Género en disputa. El feminismo y la subversión de la identidad. Paidós, Barcelona, 2001, p.35.

3. Segarra, M., ‘’Construyendo nuevas masculinidades: Una introducción’’, Segarra, M., Carabí.,A., (eds), Nuevas masculinidades, Icaria, Barcelona, 2000, pp 15-27.

4. Wolf, V., Una habitación propria. Seix Barral, Barcelona, 2001, pp50-51.

5. Irigaray, L., Amo a ti. Bosquejo de una felicidad en la historia. Icaria, Barcelona, 1994,p.36.

6. Braidotti, R.,’’La diferencia sexual como proyecto político nómade’’, en op.cit.,p.170.

7. Irigaray, L. , Amo a ti, op.cit.,p.73.

8. O Corpo feminino é tan importante en Luce Irigaray que foi tachada de bioloxicista e esencialista, acusacións que ela rexeita, pois non concibe o corpo segundo a oposición espíritu/corpo, senón que agora o corpo non só se reproduce, non só sinte, senón que pensa e escribe.

9. Irigaray, L., Yo, tú, nosotras. Cátedra, Madrid, 1992,p.43.

10. Irigaray, L., El cuerpo a cuerpo con la madre. El otro género de la naturaleza. Otro modo de sentir. La Sal. Barcelona, p.42.

11. Ibid.

12. Braidotti, R.,’’órganos sin cuerpos’’, Sujetos nómades, op.cit.,p.104

13. Braidotti, R.,’’Devenires discontínuos. Deleuze y el devenir mujer’’,Sujetos nómades, op.cit.,p.141.

14. Braidotti, R., ‘Introducción :Por la senda del nomadismo’, Sujetos nómades, op.cit., p.59.

15. Butler,J., Mecanismos psiquicos del poder. Teorias sobre la sujéción. Cátedra, Madrid, 2001.

16. Mirizio, A., ‘’Del carnaval al drag : la extraña relación entre masculinidad y travestismo ‘’ Segarra, M., e Carabí, A.,(eds), Nuevas Masculinidades, op.cit. p.133-150.Ver tamén Azpeitia,M.,’’Viejas y nuevas metáforas : Feminismo y filosofía a vueltas con el cuerpo’’ Azpeitia,M. e outras (eds), Piel que habla.Viaje a través de los cuerpos femeninos. Icaria, Barcelona, 2000, pp133-150.

17. Birulés, F. ,‘’Del sujeto a la subjectividad’’, en Cruz,M. (comp.),Tiempo de subjetividad. Paidós, Barcelona,1996, p.228.


Textes de théologiennes romandes - collectionnées de Michèle Bolli, Dr. en théologie