reflexive 6
Home Retour reflexive 1 reflexive 2 reflexive 3 reflexive 4 reflexive 5 reflexive 6 reflexive 7 reflexive 8 reflexive 9

 

Jésus, Maître de sagesse ?

Quelques repères pour approcher

une part méconnue de la christologie

_________________________________________________
Michèle Bolli

Jésus est qualifié de sage, de Sagesse ou de maître de sagesse, comment comprendre cette part de son identité ?

On a souvent mis en évidence l'influence des courants apocalyptiques sur les débuts du Christianisme, les traditions de sagesse ont-elles, elles aussi, été prises en compte par Jésus ? De récents travaux exégétiques et historiques invitent à le penser.

On y lit la revalorisation des liens entre sagesse et création, et sagesse et prophétisme.

Ils avaient été repérés dans l’Ancien Testament, notamment en Pr.8 et en Pr 1,20s. Une comparaison entre Hokhma - la Sagesse personnifiée dans le texte biblique - et Jésus, montre plusieurs points de convergence et quelques différences. Ne sont-ils pas deux 'historicités énonciatrices' s'adressant à leurs contemporain-e-s ?

Revenons au contexte qui nous occupe ici, la création se produit comme don ouvrant une perspective salutaire. Par une nouvelle création, qui implique langage et puissance du côté de Dieu, se manifeste et se reçoit ce salut. Il est annoncé et/ou commence (car la création prend un certain temps pour se construire ou se déployer…), Cahier Evangile 119, 2002, p.52ss,’Sagesse, création, prophétie’.

On est ainsi placé dans une veine messianique par la forme du ‘déjà/pas encore’. Dans le contexte qui nous occupe, une telle expression se lie à la perspective du règne de Dieu espéré-révélé par la présence de Jésus-Christ.

Jésus compris dans la perspective d’un ‘Maître de sagesse’.

Il faut dire d'abord ici, que la tradition sapientiale, à l’intérieur du Judaïsme, devait être connue de Jésus, aussi bien que celles de la Tora et des Prophètes.

Il va utiliser quelques traits de cette tradition dans son ministère :

bulletpar sa position à l'égard de la Tradition en interaction avec la Tora et les Prophètes, cherchant à accomplir la Loi,dans un temps historique spécifique, ayant ses problèmes et ses enjeux.
bulletpar l'usage de certaines formes de langage chères aux sages tels le dicton, le proverbe, les petites histoires philosophiques édifiantes, religieuses ou ayant trait à l'amour, dont la parabole serait une des formes les plus élaborées pour servir un message précis.

Jésus raconte volontiers des histoires pour expliquer sa façon de voir la vie avec Dieu et de la comprendre. Or, en Israël, et bien avant déjà dans tout le Proche-Orient Ancien (de l'Egypte à Sumer), de la cour du roi au bivouac des bergers, on racontait des histoires, plus ou moins édifiantes, plus ou moins énigmatiques. On organisait même des tournois entre conteurs, entre sages. Chez les ambassadeurs à la cour, ce type de langage servait aussi à transmettre des informations codées, que seules les oreilles autorisées devaient pouvoir comprendre. Habitudes des cultures orales.

Jésus a repris cette forme de prédication indirecte où la vérité entière est promise au dévoilement, où celui qui a des oreilles peut entendre. N’a-t-on pas parlé de 'secret messianique' ?

bulletPar certains aspects de son action.

Un sage n'est pas un révolutionnaire, mais souvent il dérange en amenant un point de vue différent de celui de la majorité. En ce qui concerne Jésus, son exigence de justice pour tous conditionne sa façon d'agir et lie le sage au prophétisme. Peut-être, est-ce la conscience de la fin du temps qui se rapproche, qui le conduit à laisser échapper parfois une certaine colère (son geste de chasser les marchands du Temple)? Le temps de la patience de Dieu n'a-t-il pas ses limites ?

Pourtant, sa façon de chercher l'intégration de tous, de créer une ‘communauté de table’ en allant manger avec des personnes exclues, permet de le placer dans la suite des sages qui ont puisé dans les cultures du Proche-Orient Ancien pour construire la tradition sapientiale liée au Dieu dont parle la Tora.

Autre exemple,il instaura le rite de la cène transformant le traditionnel repas de la Pâque, le ‘seder’, pour servir sa mémoire et relayer sa présence auprès de ses ami-e-s.

Ainsi,sa sagesse prend un tour particulier et le conduit à transformer certains aspects de la tradition reçue afin qu’ils servent ses buts.

Qualifier Jésus de ‘Maître de sagesse’ nécessite de souligner que sa ‘sagesse’ est de type paradoxale. Elle se manifeste comme ‘liberté interpellante’ et, en cela s’apparente à la prophétie, d’une part.

Et,de l’autre, en son aspect visionnaire,soit qui laisse entrevoir le passé et l’avenir, elle est tout aussi interpellante et se lit comme parole de royauté divine sur les temporalités et les espaces.

Un exemple de ce type est fourni par l’épisode de ‘la Lamentation sur Jérusalem’. Jésus apparaît là, comme habitant la place de Dieu-Sagesse soi-même, car dominant la situation de Jérusalem à travers les époques et parlant d’un point de vue que seul Dieu lui-même pouvait tenir.

Pourtant, ce langage n’est pas fréquent. Aussi je dirais, en accord avec J.-P. Lemonon et en l’état actuel des recherches, que Jésus-Christ participe de la Sagesse (dans mon vocabulaire Dieu-Sagesse) mais ne s’y superpose pas complètement.

Ainsi,Jésus serait, non seulement le Fils de son ’Père’, son Dieu, mais encore, le fils de deux mères : Marie, sa mère humaine, et la Sagesse, comprise comme cette dimension divine connue par la tradition vétérotestamentaire théologique1. Selon que l’on s’intéresse à l’une ou l’autre de ces dimensions, il sera différemment qualifié.

On peut donc affirmer que Jésus-Christ fut un ‘Maître de sagesse’ en ce sens qu’il a dominé les données sapientiales proposées par sa tradition et s’en est servi pour son œuvre, et qu’il s’est également situé en ‘fils’ participant de la vie sapientiale de Dieu et la manifestant.


__________________________________________________________
1. Les travaux d’E.Schüssler-Fiorenza vont plus loin encore, et font de Jésus un ‘prophète de la Sophia’, mais je ne la suivrai pas jusque-là).

Quelques repères de lecture

1. Jésus as Sophos and Sophia : Wisdom Tradition and The Gospels’, J.M.Robinson, in Aspects of Wisdom in Judaïsm and Early Christianity, coll., p. 1-16.E.Schüssler-Fiorenza, « Jesus,Miriam’s Child,Sophia’s Prophet,Critical Issues,Feminist Christology,New-York,Continuum,1994.

2. Jésus sage et prophète, J.P Lémonon, Cahier Evangile 119,2002

3. La Sagesse biblique de l’Ancien au Nouveau Testament, J.Trublet ed.,Cerf, Paris,1995

4. Une écoute de l’Oubliée : la Sagesse de Dieu, Une enquête chez les sages de l’Ancien Testament et un parcours en théologie contemporaine pour comprendre le lien entre le Dieu révélé et la sagesse personnifiée,Thèse,1990,BCU.

Lausanne, octobre 2002


Textes de théologiennes romandes - collectionnées de Michèle Bolli, Dr. en théologie