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Jésus, Maître de sagesse ?
Quelques repères pour approcher
une part méconnue de la christologie
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Michèle Bolli
Jésus est qualifié de sage, de Sagesse ou de maître de sagesse, comment
comprendre cette part de son identité ?
On a souvent mis en évidence l'influence des courants apocalyptiques sur les
débuts du Christianisme, les traditions de sagesse ont-elles, elles aussi, été
prises en compte par Jésus ? De récents travaux exégétiques et historiques
invitent à le penser.
On y lit la revalorisation des liens entre sagesse et création, et sagesse et
prophétisme.
Ils avaient été repérés dans l’Ancien Testament, notamment en Pr.8 et en Pr
1,20s. Une comparaison entre Hokhma - la Sagesse personnifiée dans le texte
biblique - et Jésus, montre plusieurs points de convergence et quelques
différences. Ne sont-ils pas deux 'historicités énonciatrices' s'adressant à
leurs contemporain-e-s ?
Revenons au contexte qui nous occupe ici, la création se produit comme don
ouvrant une perspective salutaire. Par une nouvelle création, qui implique
langage et puissance du côté de Dieu, se manifeste et se reçoit ce salut. Il est
annoncé et/ou commence (car la création prend un certain temps pour se
construire ou se déployer…), Cahier Evangile 119, 2002, p.52ss,’Sagesse,
création, prophétie’.
On est ainsi placé dans une veine messianique par la forme du ‘déjà/pas encore’.
Dans le contexte qui nous occupe, une telle expression se lie à la perspective
du règne de Dieu espéré-révélé par la présence de Jésus-Christ.
Jésus compris dans la perspective d’un ‘Maître de sagesse’.
Il faut dire d'abord ici, que la tradition sapientiale, à l’intérieur du
Judaïsme, devait être connue de Jésus, aussi bien que celles de la Tora et des
Prophètes.
Il va utiliser quelques traits de cette tradition dans son ministère :
| par sa position à l'égard de la Tradition en interaction avec la Tora et
les Prophètes, cherchant à accomplir la Loi,dans un temps historique
spécifique, ayant ses problèmes et ses enjeux. |
| par l'usage de certaines formes de langage chères aux sages tels le dicton,
le proverbe, les petites histoires philosophiques édifiantes, religieuses ou
ayant trait à l'amour, dont la parabole serait une des formes les plus
élaborées pour servir un message précis. |
Jésus raconte volontiers des histoires pour expliquer sa façon de voir la vie
avec Dieu et de la comprendre. Or, en Israël, et bien avant déjà dans tout le
Proche-Orient Ancien (de l'Egypte à Sumer), de la cour du roi au bivouac des
bergers, on racontait des histoires, plus ou moins édifiantes, plus ou moins
énigmatiques. On organisait même des tournois entre conteurs, entre sages. Chez
les ambassadeurs à la cour, ce type de langage servait aussi à transmettre des
informations codées, que seules les oreilles autorisées devaient pouvoir
comprendre. Habitudes des cultures orales.
Jésus a repris cette forme de prédication indirecte où la vérité entière est
promise au dévoilement, où celui qui a des oreilles peut entendre. N’a-t-on pas
parlé de 'secret messianique' ?
| Par certains aspects de son action. |
Un sage n'est pas un révolutionnaire, mais souvent il dérange en amenant un
point de vue différent de celui de la majorité. En ce qui concerne Jésus, son
exigence de justice pour tous conditionne sa façon d'agir et lie le sage au
prophétisme. Peut-être, est-ce la conscience de la fin du temps qui se rapproche,
qui le conduit à laisser échapper parfois une certaine colère (son geste de
chasser les marchands du Temple)? Le temps de la patience de Dieu n'a-t-il pas
ses limites ?
Pourtant, sa façon de chercher l'intégration de tous, de créer une ‘communauté
de table’ en allant manger avec des personnes exclues, permet de le placer dans
la suite des sages qui ont puisé dans les cultures du Proche-Orient Ancien pour
construire la tradition sapientiale liée au Dieu dont parle la Tora.
Autre exemple,il instaura le rite de la cène transformant le traditionnel repas
de la Pâque, le ‘seder’, pour servir sa mémoire et relayer sa présence auprès de
ses ami-e-s.
Ainsi,sa sagesse prend un tour particulier et le conduit à transformer certains
aspects de la tradition reçue afin qu’ils servent ses buts.
Qualifier Jésus de ‘Maître de sagesse’ nécessite de souligner que sa
‘sagesse’ est de type paradoxale. Elle se manifeste comme ‘liberté
interpellante’ et, en cela s’apparente à la prophétie, d’une part.
Et,de l’autre, en son aspect visionnaire,soit qui laisse entrevoir le passé et
l’avenir, elle est tout aussi interpellante et se lit comme parole de royauté
divine sur les temporalités et les espaces.
Un exemple de ce type est fourni par l’épisode de ‘la Lamentation sur Jérusalem’.
Jésus apparaît là, comme habitant la place de Dieu-Sagesse soi-même, car
dominant la situation de Jérusalem à travers les époques et parlant d’un point
de vue que seul Dieu lui-même pouvait tenir.
Pourtant, ce langage n’est pas fréquent. Aussi je dirais, en accord avec J.-P.
Lemonon et en l’état actuel des recherches, que Jésus-Christ participe de la
Sagesse (dans mon vocabulaire Dieu-Sagesse) mais ne s’y superpose pas
complètement.
Ainsi,Jésus serait, non seulement le Fils de son ’Père’, son Dieu, mais encore,
le fils de deux mères : Marie, sa mère humaine, et la Sagesse, comprise comme
cette dimension divine connue par la tradition vétérotestamentaire théologique1.
Selon que l’on s’intéresse à l’une ou l’autre de ces dimensions, il sera
différemment qualifié.
On peut donc affirmer que Jésus-Christ fut un ‘Maître de sagesse’ en ce sens
qu’il a dominé les données sapientiales proposées par sa tradition et s’en est
servi pour son œuvre, et qu’il s’est également situé en ‘fils’ participant de la
vie sapientiale de Dieu et la manifestant.
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1. Les travaux d’E.Schüssler-Fiorenza vont plus loin encore, et font de Jésus un
‘prophète de la Sophia’, mais je ne la suivrai pas jusque-là).
Quelques repères de lecture
1. Jésus as Sophos and Sophia : Wisdom Tradition and The Gospels’, J.M.Robinson,
in Aspects of Wisdom in Judaïsm and Early Christianity, coll., p.
1-16.E.Schüssler-Fiorenza, « Jesus,Miriam’s Child,Sophia’s Prophet,Critical
Issues,Feminist Christology,New-York,Continuum,1994.
2. Jésus sage et prophète, J.P Lémonon, Cahier Evangile 119,2002
3. La Sagesse biblique de l’Ancien au Nouveau Testament, J.Trublet ed.,Cerf,
Paris,1995
4. Une écoute de l’Oubliée : la Sagesse de Dieu, Une enquête chez les sages de
l’Ancien Testament et un parcours en théologie contemporaine pour comprendre le
lien entre le Dieu révélé et la sagesse personnifiée,Thèse,1990,BCU.
Lausanne, octobre 2002
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