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Christine Alexander – Conférence suisse de Diaconie - 30 octobre 2001
 

" POLITIQUE FAMILIALE – DU RÊVE à LA REALITé "

Expériences en thérapie familiale

FAMILLES JE VOUS hAIsME


Ou un regard critique typiquement réformé et féministe sur le Message des Églises.
Je suis logopédiste de première formation, càd une formation clinique, ensuite j’ai obtenu une licence en théologie et la consécration pastorale, puis l’église m’a demandé de suivre une formation clinique systémique pour la thérapie du couple et de la famille aux Hôpitaux Universitaires de Genève. Actuellement je finis un DEA (Diplôme en études avancées) en éthique appliquée (faculté de philosophie et de théologie de l’université de Sherbrooke – Laval au Québec) et je commencerai un doctorat en janvier 2002.

De 1991 à 2000, j’ai travaillé comme aumônier cantonal protestant au Service de Protection de la Jeunesse du canton de Vaud. J’y rencontrais des mineurs soit placés par le juge, le tuteur ou le SPJ, soit vivant en institution car handicapés moteurs ou mentaux, de même que les éducateurs, directeurs et parents.

Durant cette période, je suis devenue membre fondateur de deux fondations: Mère Sofia (Jeunes dans la rue et sidéens) et l’Estérelle-Arcadie (alcoolisme) et d’une association (Familles solidaires: thérapies et groupes d’entraide pour familles incestueuses pour les victimes, les adolescents victimes, adolescents abuseurs, adultes abuseurs, adultes complices, adultes témoins). Je suis aussi membre du conseil de fondation de l’Aide juridique pour les mineurs et les handicapés (AJUMAH).

Par ailleurs, en plus des thérapies dans le cadre de mon travail, j’ai commencé des groupes d’entraide pour personnes divorcées ou séparées et pour " femmes au milieu de la vie ".



2. Familles et intérêts divergents de ses membres.

D’abord, dire que c’est bien que ce Message existe et qu’il contient beaucoup de bonnes idées et des pistes de travail intéressantes sur lesquelles je ne vais pas forcément revenir.

Néanmoins, en tant que femme, mère, thérapeute et pasteure, il me reste des critiques à formuler.

2.1. La famille est vue comme un tout, un conglomérat dont les besoins et les intérêts seraient communs à tous ses membres. Or très souvent dans la vie courante, nous pouvons expérimenter que les intérêts des uns et des autres peuvent être totalement divergents voire incompatibles. (ex. fam. : Choisir lieux vacances : si monsieur veut aller à la montagne, les enfants à la plage et madame à la campagne, comment décider, que décider ? Ou si monsieur veut sortir des Témoins Jéhovah et pas madame ?).

La famille est bien une communauté de vie, mais cela veut dire qu’elle est composée de personnes différentes par les capacités (adultes et enfants), les besoins, les désirs, les intérêts.

Qui va décider ? Comment apprendre aux (futurs) époux et parents à négocier ? à prendre en compte les intérêts différents et à en tirer leur solution à eux ?

2.2. Engagement durable. Sur le plan strictement théologique, philosophique et occidental, il est évident que l’idéal actuel est un couple uni de la jeunesse à la mort. Cet idéal est une image de notre inconscient collectif. Elle a une grande force symbolique et certains couples reçoivent de le vivre. Mais le grand amour d’une vie n’est pas une règle, ni un droit. Certains couples reçoivent ce cadeau, car c’est un don, ce n’est pas de l’ordre du mérite ou du travail.

Il faut rappeler ici que tous n’ont pas cette vocation ou que certains couples qui la reçoivent ne sont pas capables de la vivre (je le dis sans esprit de jugement, comme un constat). Pour moi, ces couples donnent raison aux catholiques sur la sacramentalité du mariage. Néanmoins, la réalité de la majorité des hommes et des femmes est bien différente. Elle n’est pas moins bien, elle est différente. Et l’expérience de ceux-là donne raison aux protestants. (Voilà pourquoi j’estime ce genre de discussions théologiques inutiles, tous deux ont raison, le problème se situe à un autre niveau, et c’est à ce niveau méta qu’il faudrait en parler ensemble).

Par ailleurs, mon expérience professionnelle me montre qu’il faut se méfier comme de la peste de ce que Watzlawick appelle " l’ultra solution ", càd la solution idéale qui résoudrait tout et prendrait en compte tous les critères, elle a tendance à n’exister que dans nos têtes et se marie mal avec le réel.

De plus, il faut voir que cet idéal est né dans une société ou, pour la plupart des couples, vivre 15 ans ensemble était déjà un " couple longue durée " étant donné la mortalité importante des femmes en couches ou de tous par les maladies. L’espérance de vie au début du 20e siècle (ce n’est pas si vieux !) n’était que de 40 ans environ.

Il faut le rappeler. Or, actuellement cette espérance de vie est de 80 ans. Autrefois, le mariage était souvent arrangé et maintenu par la pression sociale. Un autre rôle social était impensable à moins de devenir prêtre, moine ou moniale, voire diaconesse. Les idées même de la liberté de choix ou de la libre disposition de son corps n’existaient pas.

Par ailleurs, les anciens se méfiaient de l’amour dans le mariage. L’amour était adultère (Tristan et Iseult), transgressant les lois sociales (Roméo et Juliette)

Et d’ailleurs tout cela finissait mal dans le meurtre ou le suicide à moins de se terminer au couvent comme Héloïse et Abélard. Bref, pour la société occidentale, l’amour et le désir sexuel étaient une tragédie grecque avec un vernis chrétien. En d’autres termes, une chose dangereuse dont il valait mieux se méfier. Un bon arrangement entre deux familles recueillait tous les suffrages.

Aujourd’hui, le couple est devenu cocon, lieu de tendresse et de sécurité affective, rôle qu’il n’avait pas autrefois. A mon avis, on ne peut pas attendre d’un tel changement qu’il se fasse sans douleur. De plus, on sait maintenant qu’un être humain change énormément entre 20 et 80 ans. Se contenter d’espérer que mari et femme évolueront parallèlement et en même temps dans la même direction est purement de l’inconscience. Surtout si en plus ils sont censés s’aimer et éprouver du plaisir sexuel ensemble. Et avoir des enfants et les éduquer. Cela devient carrément la quadrature du cercle.

Je ne suis pas en train de dire que c’est impossible, ni que ce n’est pas souhaitable. Je dis que c’est difficile. Que c’est un chemin semé d’embûches dont les couples ne sont pas nécessairement responsables. Qu’il y a les contraintes internes et les contraintes externes au couple.

Je pense qu’il faut reprendre à fond la question de la préparation à la vie communautaire des enfants et des jeunes de même que de l’accompagnement des familles. Particulièrement pour les (futurs) maris. Car dans notre société, les hommes ont une éducation à l’expression des émotions qui est plutôt embryonnaire et déficiente comparée à celle des femmes. Guy Corneau (Père manquant - Fils manqué) dit même que ce sont des handicapés de la communication. Si c’est un homme qui le dit…

Il y a aussi toute la problématique du respect de l’autre, de la bonne ou plutôt des bonnes distances, de la sexualité, de l’éducation que chacun des membres du couple a reçue de ses parents etc…

Ensuite, il y a encore le choc de l’arrivée des enfants ! L’entrée dans l’adolescence puis l’envol du nid. Bref, de nombreux moments de crise et de remise en question exigeant un changement de niveau dans le fonctionnement du couple et de la famille. Changements que tous n’arrivent pas à faire et alors il y a divorce, séparation, divorce émotionnel, déménagements fréquents etc… pour tenter de résoudre la difficulté à un niveau ancien et dépassé.

Je m’oppose formellement et fermement à la citation de Jean 10, 10 tirée hors de son contexte. La vie familiale n’est pas in re en abondance. Ou alors l’abondance est le trop et on ne se supporte plus. Je ne crois pas qu’il faille citer Jésus pour ce qui est de la vie familiale. Il n’était lui-même pas un défenseur de la famille, il poussait les gens à grandir en autonomie et non à s’en remettre à d’autres. Il a dit lui-même que sa mère et ses frères étaient tous ceux qui font la volonté de son Père.

Dans mon expérience de femme et de mère, les seuls moments que je qualifierais de vie en abondance dans ma vie familiale sont des moments ritualisés : mariage, mort et naissance de mes enfants. Car ce sont des moments qui ont fait grandir et changer mon regard sur la vie. La vie en abondance est spirituelle et non affective. Et d’ailleurs j’aimerais que quelqu’un se lève et me dise que c’est la vie en abondance que de passer sa journée avec des enfants petits qui crient, qui veulent le biberon tout de suite, dont il faut changer les langes, panser les plaies, dont il faut écouter les gouzis gouzis et y répondre, jouer x fois au même jeu débile. Ou bien des adolescents qui vous critiquent à longueur de journée et refusent de donner un coup de main au ménage. Non et encore non.

La vie en abondance vient de Dieu, non pas de ma famille. Même si je peux être heureuse en famille. Même si j’aime mes enfants et mon mari. Mais il ne faut pas tout mélanger il s’agit de deux niveaux différents du réel. La vie spirituelle transcende toute ma vie et la porte, elle n’est pas liée à ma place de fille, de femme, de sœur ou de mère.

2.3. Le Message des Églises n’aborde pas, sinon par la tangente, le problème des relations avec les enfants du conjoint qui ne sont pas les miens, ou les enfants adoptifs ou les enfants en famille d’accueil. Là aussi, il y aurait des questions intéressantes. Ex : Lors d’un accident à l’école d’un enfant, sa belle-mère (marâtre) ne peut mener l’enfant à l’hôpital car elle n’est pas la mère ni le père, et cela même si le père est à l’étranger et la mère inatteignable.

Adoption simple : dans la Loi française, un enfant peut être adopté par un tiers sans exclusion de ses parents géniteurs.

L’adoption légale aussi pose problème, souvent à l’adolescence des jeunes qui sont pris entre deux cultures et deux loyautés. Beaucoup de consultations à ce moment-là.

Les familles d’accueil aussi ont besoin d’un soutien spécifique qui n’est pas forcément donné par le service placeur.

Reste aussi le lien parental entre le couple qui a divorcé. Ce n’est pas pour rien que je fais des groupes d’entraide. La détresse des divorcés est grande alors même que souvent, leur décision est courageuse.


3. Familles et intérêts divergents de la société.

3.1. Je ne suis pas surprise
, mais déçue de constater que bien sûr, ce Message évacue aussi la question de la sexualité et du contrôle des naissances. Or il me semble que si un couple veut durer, ce sont des questions inévitables. Ne pas aborder la réalité concrète des gens, c’est faire l’autruche. Les gens souffrent dans leur sexualité.

Par ailleurs, il existe des moyens contraceptifs, le SIDA, la FIVETE, la pilule, l’avortement, l’avortement pour cause médicale, l’implantation d’ovules, les donneurs de sperme etc…

Il se peut d’ailleurs, là aussi, que les intérêts de la famille, des personnes et de la société entrent en concurrence voire en conflit.

Pour la société, produire de bons individus sains et productifs est le plus important. Pour la famille, l’important est ailleurs, elle veut se reproduire elle. Et tous ensemble, nous ne supportons plus l’imprévu, ce qui fait irruption dans nos vies sans être décidé ou contrôlé par nous. Nous oublions que même la médecine est un art, alors, à plus forte raison l’amour.

Et ne jamais oublier que chacun/e fait ce qu’il ou elle peut, que souvent nous ne pouvons trouver que la " moins mauvaise " solution et non la meilleure.

Que le but du Christ est de nous faire grandir en autonomie, en humanité et que cela implique l’acceptation de notre solitude, notre finitude et notre incertitude.

3.2. La question de la " vente du vivant "

En France, un enfant handicapé fait un procès à ses parents parce qu’il est né. Des mères-porteuses vendent leur ventre ou leur enfant pour de l’argent. On parle de vente/trafic d’ovules ou d’organes.

Notre monde devient fou. Il n’y a plus de valeurs communes et on demande aux juristes de jouer les donneurs de valeurs. C’est impossible.

La vie n’est pas à vendre. On peut seulement la transmettre ou l’enlever.

Histoire de Naaman, 2 Rois 5 : Naaman part sur la foi en la parole d’une petite fille juive, va se laver au Jourdain sur la foi de la parole d’un prophète juif, apprend qu’il est guéri par grâce (élisée refuse tout cadeau, ce qui est très fin avec un homme de foi comme Naaman, ainsi il évacue toute possibilité que Naaman attribue sa guérison à ses mérites propres ou à ceux d’élisée mais seulement à la grâce et l’amour gratuit du Dieu d’Israël). Et Guéhazi son serviteur qui a voulu profiter de l’aubaine en demandant des cadeaux à Naaman deviendra lépreux, impur et ses descendants après lui. Car faire commerce de la vie nous exclut de la communauté humaine selon la loi d’Israël. Être lépreux c’est être d’abord impur. Ce mot recouvrait d’autres choses en plus de la lèpre-maladie.

La vente du vivant, de la guérison n’est pas possible : c’est un don. Le médecin, le psychologue, le rebouteux, le pasteur donnent des soins, des médicaments, un lieu de parole et de reconnaissance, mais c’est la personne qui (se) guérit.

La médecine nous a habitués à saucissonner notre corps, à le considérer comme un objet (cf. femmes violées qui séparent leur corps détruit et abîmé de leur esprit " pur " et donc acceptent de lui faire subir une sexualité vénale). Et nous sommes nombreux à nous comporter de la même manière. Les sportifs se dopent et s’entraînent jusqu’à la chute, la tendinite ou la maladie. D’autres mangent trop et n’importe quoi. D’autres couchent avec n’importe qui. D’autres se droguent ou s’alcoolisent. D’autres encore deviennent anorexiques.

Il serait important de revenir sur la dignité du corps comme partie de moi : Nous sommes fils et filles de Dieu qui est Un, nous aussi nous sommes Un.

C’est donc aussi un problème d’éducation des enfants et des jeunes, un problème d’interpellation de notre société pour qui l’argent passe avant la dignité humaine. Ce n’est pas neutre de finir comme support publicitaire pour une bière ou une voiture ou un parfum. Ce n’est pas neutre d’accepter d’être photographié/e nu/e pour un film ou une revue. Ce n’est pas vrai que " chaque être humain a son prix ".

Ce n’est pas neutre de tomber malade car les cadences de production à l’usine sont infernales ou parce qu’on se fait mobber.

Et tout cela retentit sur la famille. Sur la capacité de supporter son conjoint, ses enfants. Sur la possibilité d’avoir un regard critique sur tout ce que l’on veut nous vendre.

3.3. Comme thérapeute de famille, il m’est souvent arrivé de me heurter à une limite avec les familles en consultation. La famille vient car elle dysfonctionne. On veut l’aider à fonctionner plus sainement et c’est alors que l’on prend conscience que c’est le contexte social qui pousse à dysfonctionner et que donc le problème est d’abord politique, social et/ou économique. (Père au chômage, mère alcoolique ou droguée, pauvreté, père absent, employeur qui abuse de son pouvoir, quartier dangereux, racket à l’école, famille sous l’emprise d’une secte ou d’un gourou, violences, etc…)

Les services psychiatriques ou sociaux ne peuvent faire le travail des politiques ou des patrons. Si les gens dépriment ou décompensent à cause de leurs conditions de vie, les envoyer chez le psy ou l’assistant social ne peut leur rendre la santé. Ils se sentiront moins seuls, voire soutenus. Et donc ils seront moins " bruyants " pour la société que livrés à eux–mêmes. Mais au fond, rien ne sera résolu car personne ne se sera attaqué aux causes de leur dysfonctionnement personnel ou familial.


4. Conclusion en forme de chemin qui s’ouvre.

Je vais m’arrêter ici, avec quelques réflexions jetées sur le papier pour continuer la discussion dans les groupes ou dans notre vie.

1. Appel à reconnaître que ce qui se passe dans et autour des familles est bien plus complexe que ce que laissent sous-entendre les " discours sur ".

C’est facile de considérer l’autre comme un objet, c’est plus difficile de le voir comme un sujet, un sujet en relation avec d’autres sujets car cela augmente la part d’imprévisibilité.

Il faut donc regarder les problèmes sous plusieurs angles, faciliter la créativité des personnes et des groupes, inventer des solutions diverses et diversifiées pour des situations qui semblent identiques.

C’est un des apprentissages les plus importants des familles qui viennent en thérapie : apprendre qu’il existe plusieurs lectures d’un même fait, et donc des solutions diverses à leur problème : à eux de choisir celle qui convient à leur famille.

2. Inciter chacune et chacun à entreprendre des actions concrètes :

- Peut-être créer une sorte de catalogue on-line avec les expériences existantes (cantines scolaires à Dully couplée avec culte de l’enfance, crèches autogérées, crèches sur les lieux de travail, cantines scolaires, soutiens aux parents, groupes d’entraide, magasins de matériel scolaire pour les enfants, trocs divers, échanges de services, valeurs éthiques support de Michel Müller, Lausanne-famille.ch, etc… et aussi dans les églises).

- Sensibiliser le monde politique, faire du lobbying. Les familles souffrent du même déficit que les femmes pour se faire entendre. Chaque famille est seule dans son coin. Elles ne sont pas organisées en association pour se faire entendre auprès des parlementaires, des conseillers d’état ou fédéraux. Les églises pourraient servir de relais. Je dirais que même une organisation faîtière comme Pro Familia n’a au fond qu’une valeur relative de représentativité. La plupart des familles ne savent même pas que cela existe ! Et le monde associatif a de plus en plus de mal à recruter des membres actifs.

- La même démarche pourrait être entreprise auprès des milieux patronaux et syndicaux.

3. Les études sociologiques montrent que la persistance du lien familial vertical est forte : la solidarité arrière-grands-parents & grands-parents & parents & enfants est très grande sur tous les plans (émotionnel, affectif, financier, partages et services en tous genres). La famille dans ce sens là n’a rien à craindre, elle survit très bien à tous nos changements sociaux.

Il n’y a donc pas besoin de " sauver " la famille. La position de " sauveur " ne sert à personne sinon à nous permettre de projeter nos angoisses sur autrui.

4. Ce qui est fragile, c’est le lien du couple et parfois les liens horizontaux (fratrie, germains). Car de plus en plus, nous sommes des individus autonomes qui choisissons qui nous aimons et fréquentons et nous appliquons cela aussi à notre famille horizontale ou élargie.

5. Ce qui est aussi fragile c’est le rapport homme-femme et souvent la place des femmes dans leur famille et sur le marché du travail.

On considère comme " normales " de nombreuses compétences spécifiques des femmes (précision, facilités relationnelles et langagières, capacités de gestion de plusieurs éléments en même temps etc…); donc on ne les " paie " pas comme on paie les compétences dites masculines (analyse, rationalité, force physique, intellectualisation etc..). Reconnaître de la même manière les compétences considérées comme féminines, ne pas sous-payer les femmes sous prétexte qu’elles portent les enfants (quelle mauvaise foi !), reconnaître la valeur du travail ménager et éducatif important et indispensable à la nation effectué par les femmes. Le service militaire est payé depuis longtemps, le congé maternité n’est pas encore accessible à toutes les femmes qui ont un emploi en Suisse ou alors de manière inégalitaire.

Or ce manque de reconnaissance et de soutien (crèches, allocations familiales dignes de ce nom, soutiens divers à l’éducation des enfants et à la vie de couple etc…) rend les femmes, les hommes et les enfants vulnérables. De plus, elle entraîne des non-naissances. De nombreuses femmes font un enfant de moins que ce qu’elles souhaiteraient car les questions pratiques de place et de garde, de même que financières les en empêchent.

6. Se pose ainsi la question des valeurs. Les églises ont des cartes à jouer sur ce plan : amour de soi et du prochain, fraternité et communion des saints, fidélité, partage, responsabilité personnelle et collective, vie communautaire, engagements, image de l’être humain comme créature à l’image de Dieu, croissance en humanité, interdépendance, solidarité avec le plus faible, empathie, respect, etc …


Tout cela pourrait être résumé en trois points, trois lois, trois valeurs fondamentales pour tout être humain et particulièrement pour ceux qui se réclament du Christ.

1. Reconnaître la présence d’un autre humain, c’est m’interdire de le tuer. Et réciproquement.

C’est l’interdit de l’homicide (tuer). Est homicide tout acte humain qui ne respecte pas la vie de l’autre (Jésus dit que la colère peut être un meurtre).

M’interdire de tuer l’autre humain, c’est m’imposer d’assumer ma propre solitude.

S’il existe quelqu’un d’autre que moi, c’est que je suis seul-e à être moi-même.

Je ne puis jamais me mettre à la place de l’autre et réciproquement.

Assumer cette solitude est le travail de toute une vie.

Assumer ma solitude m’ouvre à la solidarité.

Tant que je veux me mettre à la place des autres et projeter sur eux mes désirs ou mes manques, je ne puis être solidaire. Être solidaire, c’est me faire proche, être proche de l’autre afin qu’il puisse aller dans le sens de son désir (comme le bon samaritain).

2. Reconnaître la différence entre l’autre et moi, c’est m’interdire de le considérer comme un simple prolongement de moi-même. Et réciproquement.

C’est l’interdit de l’inceste. Est incestueux tout acte humain qui consiste à manipuler l’autre, à en faire un objet, à le considérer comme l’outil de mon plaisir et non comme le sujet de son existence différente de la mienne. A en faire un complice et non un ami.

M’interdire l’inceste avec autrui, c’est m’imposer d’assumer ma propre finitude.

Ma finitude, c’est d’avoir des désirs infinis et des moyens très finis (limités) de les réaliser. C’est l’obligation de choisir. Et choisir c’est aussi renoncer. Apprendre à renoncer à réaliser la plus grande partie de nos désirs est aussi le travail de toute une vie.

Assumer ma finitude me confère ma dignité d’être humain.

Être moi, avec justesse, c’est n’être ni Dieu, ni diable, ni rien, juste moi-même.

Un peu comme Winnicott qui considère qu’une mère doit être " assez bonne "

" a good enough mother ". Je dois apprendre à être " a good enough human being ".
 

3. Reconnaître l’équivalence morale entre l’autre et moi, c’est m’interdire de lui mentir. Et réciproquement.

C’est l’interdit du mensonge. Le mensonge est mortifère car il introduit la confusion entre le réel et l’imaginaire. Dès que survient le mensonge, la parole ne sait plus de quoi elle parle. La liberté est réciproque et permet l’autonomie de chacun-e.

L’autarcie (auto-suffisance, " autonomy ") est la liberté totale à disposer de moi de manière absolue. Ce n’est pas de cela que je parle ici.

M’interdire de mentir à autrui, c’est m’imposer à moi-même d’assumer ma propre incertitude.

Souvent, nous mentons car nous préférons une illusion à l’incertitude.

M’interdire de mentir, c’est m’engager dans l’assomption et la sublimation de ma propre incertitude. C’est aussi accepter la dimension absurde de l’existence.

Socrate utilisait une image pour parler du lien entre certitudes et incertitudes. " Le nombre de nos questions irrésolues croît comme la circonférence en fonction du rayon de nos connaissances (2 pi r). "

Les connaissances peuvent progresser, mais elles nous ouvrent à chaque fois 6,28 questions nouvelles.

Assumer mon incertitude me donne ma liberté.

Si je n’étais pas incertain-e, je ne pourrais être libre, car tout serait clair et déterminé.

Cette manière de lire le réel est à la fois profondément occidentale, chrétienne et pourtant libératrice. Ces trois interdits sont aussi interdits de l’idolâtrie.

Ils permettent de rendre compte de nos choix ou de nos actes. Cela ne nous donne pas de " bonne solution " évidente, ni de Vérité. Mais c’est un chemin vers le Royaume, avec une foi qui nous déplace nous-mêmes dans notre propre vie.

Pour moi, assumer mon incertitude, ma finitude et ma solitude, c’est aussi reconnaître que certaines questions n’ont pas de réponse et qu’il est dangereux de décider à la place d’autrui ce qui est bon pour lui. C’est en cela que je me sens très protestante et peu portée à des décisions ou règles valables pour tous sur l’avortement, l’euthanasie, les états limites de la conscience, etc…



Ces trois piliers de la vie permettent de grandir en autonomie et en humanité. Ils me permettent de lutter autant que faire se peut, dans ma propre vie, contre toutes les formes d’homicide, d’inceste et de mensonge. C’est cultiver la solidarité, la dignité et la liberté de chacun-e tout en assumant ma condition humaine. C’est l’équilibre de ces trois valeurs qui permet de marcher vers le Royaume qui est la finalité de tout chrétien, de toute chrétienne. Car ce n’est pas pour nous-mêmes seulement que nous marchons, c’est aussi pour et avec les autres. Car nous n’existons qu’avec les autres. Et avec la Source de toute chose qui nous traverse tous et nous emmène dans son Souffle.

Rappeler à chaque chrétien-ne, à chaque être humain, que dans la Bible, le Juste est celui qui se tient sur la place publique (du village) et crie les injustices qu’il voit (pour que l’ensemble de la population prenne conscience et change sa conduite comme Jonas à Ninive dans le conte qui porte son nom).

C’est le moins que les Églises, tente multicolore de la présence de Dieu sur Terre, c’est le moins qu’elles puissent faire. Alors mes frères, mes sœurs, Courage ! Let’s go !



Christine Alexander – Conférence suisse de Diaconie – 30 octobre 2001.


Textes de théologiennes romandes - collectionnées de Michèle Bolli, Dr. en théologie