Texte écrit pour la Rencontre des Femmes de Vaumarcus en
1992 sur le thème du Changement et publié dans la rev. Approches, 1992, 146,
éditée par la Fédération Suisse des Femmes Protestantes.
Destin et liberté : changements à vivre.
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Chacune de nous vit son existence dans un espace dont elle a appris à
reconnaître les contours et les limites. De là elle est amenée à regarder les
transformations auxquelles participe peu ou prou son espace: migrations massives
de populations à travers pays et continents, frontières remodelées, structures
sociales et politiques qui s’effondrent ou se recomposent, monde convulsé dont
l’écho,porté par les médias, accompagne notre quotidien et, sans cesse, nus
rappelle notre impuissance.
De plus, dans son lieu, elle a développé un réseau de relations qui, lui aussi,
constitue un lieu mouvant : rencontres et séparations s’y tissent, groupes
familiaux et amicaux s’y font et défont. Sa propre personne est en but aux
changements : saisons de la vie, accidents de santé, bonheurs et malheurs.
Changements qui l’atteignent.
Mouvance encore, des forces religieuses en présence, et stagnation – apparente
du moins - des Eglises. Quelle sera la place de la voix chrétienne demain ?
Saura-t-elle nouer le dialogue avec les autres croyant-e-s sans se perdre?
Souvent ces changements engendrent une crise : comment la résoudre ?
Voici évoqué en quelques traits le thème de la rencontre de Vaumarcus: vaste
sujet, aux infinies nuances, dont je choisi d’explorer plus avant l’une d’entre
elles: la foi est –elle un refuge contre le monde ou une source de force
créatrice ?
Le changement réveille nos peurs, nos angoisses, mais il provoque aussi notre
créativité à se manifester. Une question surgit : la foi n’est-elle qu’un refuge
contre ce monde ou se montre-t-elle aussi porteuse d’une force, d’une énergie
créatrice de formes de vie acceptables ?
J’évoquerai ici rapidement deux exemples qui font voir la communication entre
certains humains et leur Dieu ainsi que ses conséquences.
Dieu et son prophète Jonas (Ch.3-4).
Donc, Jonas, sorti de sa baleine, se résout à prêcher la repentance dans les
rues de Ninive-la-Grande (ville). Et, contre toute attente, sa parole est
entendue – gens et bêtes se repentent ( comme le dit l’hébreu). Ce que voyant
Dieu change d’avis, et lui aussi revient sur sa décision de destruction.
Oui, Dieu change d’avis. Jonas est furieux et vexé – car il pressentait que Dieu
ferait miséricorde – il se sent mobilisé pour rien ou presque et se retire dans
le silence. Dieu ne le laisse pas tranquille.Il cherche à faire valoir son point
de vue aux yeux de son collaborateur et pose d’abord un acte : il fait pousser
un ricin qui procure de l’ombre à son prophète. Ce dernier est alors tout
content.
Le lendemain, le ricin meurt. Jonas est furieux. Encore ce Dieu qui change
d’avis! Alors seulement Dieu lui dit : « As-tu raison de te fâcher ? »
Prisonnier de sa logique, Jonas rétorque : » Oui, j’ai raison, car tu fais
pousser ce ricin, puis tu détruis cette plante innocente ».
Alors, Dieu fait valoir la raison de son acte: « Toi, tu as pitié de cette
plante pour laquelle tu n’as pas peiné et que tu n’as pas fait croître (…), et
moi je n’aurai pas pitié de Ninive, où il y a plus de cent vingt mille êtres
humains qui ne savent pas distinguer leur droite et leur gauche et des bêtes
sans nombre ? ».
Combien un tel Dieu, tenant compte de nous, devient plus attachant que s’il
était immuable et inébranlable !
Second exemple : Jésus et la Syrophénicienne (Marc 7,25-30).
Jésus se trouve attablé avec ses disciples lorsqu’il voit arriver une femme
qu’il identifie comme étant non Israélite mais Syrophénicienne. Il la regarde
s’approcher criant et gémissant. Il comprend qu’elle vient lui demander la
guérison de sa file. En Rabbi qui connaît son affaire, il repousse sa demande
d’une parole cinglante. Mais cela ne la fait pas reculer ; un instant interdite
par la violence de cette parole , elle cesse de gémir, rassemble ses idées,
trouve un argument qu’elle avance aussitôt.
Jésus surpris par cette nouvelle attitude, l’écoute, perçoit sa logique, se
laisse déloger de son point de vue – entraîné à s’intéresser à cette demande
venue d’une contrée étrangère – il cède, il change d’avis et guérit la fille de
cette étonnante mère.
Soulignons d’abord que c’est une image de Dieu dans l’Histoire et dans des
histoires particulières qui nous est donnée de connaître ici. Un Dieu qui peut
changer d’avis, ce qui ne veut pas dire qu’il soit versatile ou mené par des
caprices,mais qu’il se laisse déranger afin de guérir ou de préserver la vie.
Cependant, son changement est lié à une volonté de l’humain concerné -femme ou
homme- d’entrer, de retrouver ou de demeurer en communication.
Comme Jonas , nous subissons parfois des changements – certains nous demeurent
obscurs, d’autres trouvent au bout d’un certain temps leur raison d’être – comme
la Syrophénicienne, nous demandons des changements et nous cherchons à agir pour
les obtenir. C’est dons aussi notre image la personne humaine entrant en
communication avec la transcendance qui apparaît ici en jeu.
Dans une telle dynamique, la possibilité des femmes d’accéder à une parole
d’interlocutrices, comme la Syrophénicienne, nécessite d’élaborer son propre
point de vue, ici au sujet des changements à vivre.
Michèle Bolli. mibolli@mydiax.ch